À Rome, fais comme les Romains

À Rome, fais comme les Romains. C’est ce qu’aurait répondu Ambroise à Augustin qui lui demandait s’il était préférable que le jour du repos soit pris le samedi comme à Milan ou le dimanche comme à Rome. C’est à peu près la même chose que Facundo Medina répond aux immigrants qui viennent s’installer au Québec lorsque de très élégante manière il leur dit de parler français. À la série de textes publiés ici et portant sur la question de la langue française au Québec j’ajoute donc le texte de M. Medina, paru le mardi 17 novembre dans Le Devoir (vous irez voir aussi les réactions des lecteurs)

B.L.

LA LOI RAPAILLÉE

Par Facundo Medina, écrivain

Le Devoir 17 novembre 2009

«Happy birthday to you». Ainsi chantent mes amis argentins du West Island avant de souffler les cinq bougies du gâteau de leur petite fille Sofia. Nous sommes dans un centre d’amusement pour enfants situé près de l’autoroute 40. Mon fils Félix, qui a six ans, me demande tout bas: «Pourquoi ils chantent en anglais si on parle tous espagnol?» Je ne sais pas quoi lui répondre. J’ai envie de lui expliquer le sens du mot «cipaye», mais il n’a que six ans. À l’époque de l’Empire ottoman, les cipayes étaient des cavaliers maghrébins au service de l’armée turque. Plus tard, on utilisa ce mot pour désigner les soldats indiens servant dans l’armée de l’Inde britannique ou dans l’armée française. En Amérique latine, on utilise aujourd’hui le mot «cipayo» pour dénommer ceux qui sont colonisés même dans leurs idées, adhérant, au point de s’auto-effacer, aux valeurs d’une culture foraine dominante. Mais Félix n’a que six ans. Alors, je laisse tomber.

Le choix du français

Quelques jours plus tard, la Cour suprême du Canada déclare inconstitutionnelle la loi 104. À mon travail, des collègues explosent de joie. «This is democracy. On a le droit de choisir notre langue.» Leur réaction ne m’étonne point. C’est la mienne qui m’étonne: je suis outré.

Il y a dix ans que je suis arrivé au Québec. Ce ne fut pas un choix fait au hasard. J’ai choisi le Québec parce qu’on y parle le français, et le Québec m’a choisi pour la même raison. En Argentine, j’avais aussi étudié l’anglais. En fait, j’ai fait une partie de mon éducation universitaire dans un établissement anglophone. Pour moi, parler l’anglais, c’est une richesse et un atout.

Mais je n’aurais jamais le culot de demander aux Québécois de payer de leur poche pour l’éducation de mes enfants dans une langue autre que la langue officielle instituée par la loi 101. Ma conception de la  démocratie diffère alors foncièrement de celle de mes collègues et amis. Il ne s’agit pas de mettre à genoux un peuple et un gouvernement pour faire valoir un droit individuel, mais de respecter une loi et une langue choisies et valorisées par l’écrasante majorité des francophones. De toute évidence, les juges de la Cour suprême n’ont pas été du même avis.

Des choix

Si j’avais décidé de vivre et d’éduquer mes enfants en anglais, j’aurais pu m’installer à Toronto ou à Vancouver. Si j’avais voulu vivre dans une province officiellement bilingue, je serais allé au Nouveau-Brunswick. Pour l’inuktitut, pas de meilleure place qu’Iqaluit. Si je voulais que Félix soit éduqué en anglais au Québec — au risque de le transformer en handicapé linguistique dans sa propre terre — je pourrais encore l’envoyer dans une école privée non subventionnée.

Si j’étais anglophone de naissance, j’aurais tout simplement le droit d’éduquer mes enfants en anglais et peut-être que je le ferais. Ces choix m’appartiennent et ils ne portent préjudice à personne. Ils ne bafouent pas les conquêtes d’une société qui a décidé de ne plus se comporter en cipaye. On voudrait réduire la question à une querelle entre gens purs et durs et gens flexibles, entre francophones intransigeants et monsieur l’opprimé qui ne veut que choisir en toute liberté. C’est une absurdité. Aucun Italien ne pourrait exiger de Rome que l’État paye pour l’éducation de ses enfants dans une langue autre que l’italien, et je vous épargne la liste des exemples. Cela va de soi.

Protéger sa langue

Est-ce que le Canada n’est pas un pays bilingue? Si, il l’est, mais seulement au niveau de la bureaucratie fédérale. Tout comme l’Alberta et la Colombie-Britannique, le Québec n’est pas officiellement une province bilingue et il s’est donné en conséquence le droit légitime de protéger sa langue. En déclarant inconstitutionnelle la loi 104, la Cour suprême a traité le Québec comme s’il agissait d’une succursale de Poste Canada à Saint-Tite où on refuse de servir les clients en anglais. Les écoles-passerelles sont l’aboutissement logique d’une dynamique perverse qui sacrifie les acquis collectifs sur l’autel des caprices individuels. Elles légitiment la tricherie et incarnent la volonté de se soustraire à une loi amplement consensuelle au Québec, tout en ayant recours aux marteaux des juges qui sont au-dessus de la réalité québécoise, mais aussi et surtout loin d’elle. La loi 104 du gouvernement Landry a voulu mettre un point final à cette aberration. Or elle s’est retrouvée sur le banc des accusés.

Les armées cipayes

Je sais que ces mêmes mots, sous la plume d’un Québécois de souche, seraient qualifiés d’intolérants, voire de racistes. Je sais qu’un immigrant comme moi qui se porte ainsi à la défense du français pourrait être aussi qualifié de «cipayo». Mais je suis au Québec, pas à Buenos Aires. Et s’il s’agit de défendre les droits d’une minorité, je me dis qu’on devrait d’abord se rappeler que les francophones sont la plus grande minorité à l’intérieur d’un Canada anglophone. La Cour suprême semble avoir fait fi de ce détail.

Qu’en est-il de ces gens qui rêvent de faire éduquer leurs enfants en anglais? Il y en a de toutes les sortes: nouveaux arrivants, immigrants de longue date et Québécois francophones de souche qui ont perdu toute estime de soi. Leur cécité est plus sévère que celle des juges. Ils ont décidé de circuler à contresens de l’Histoire, tout en nous faisant payer leur essence.

Actuellement, je suis en train de traduire vers l’espagnol un poème de Gaston Miron. Je me demande si les futures générations d’ici sauront qui a été ce grand poète manieur d’une identité rêvée, mais possible. Je me demande si le Québec et le français, qui ne sont qu’un, sauront résister aux assauts des armées cipayes. Je me demande si, loin de tout fanatisme et de toute coercition, nous saurons expliquer à cette minorité aveugle qu’elle n’a pas le droit moral de nous faire payer pour ses choix insensés. En attendant, je me prépare à fêter les sept ans de mon fils Félix. Je lui dirai du fond de mon coeur: «Feliz cumpleaños, mon p’tit Québécois.»

3 Commentaires

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3 réponses à “À Rome, fais comme les Romains

  1. Jacynthe

    «Si je voulais que Félix soit éduqué en anglais au Québec — au risque de le transformer en handicapé linguistique dans sa propre terre — je pourrais encore l’envoyer dans une école privée non subventionnée.»

    «Qu’en est-il de ces gens qui rêvent de faire éduquer leurs enfants en anglais? Il y en a de toutes les sortes: nouveaux arrivants, immigrants de longue date et Québécois francophones de souche qui ont perdu toute estime de soi. Leur cécité est plus sévère que celle des juges. Ils ont décidé de circuler à contresens de l’Histoire, tout en nous faisant payer leur essence.»

    Ces deux passages m’ont particulièrement marqué, jamais je n’aurais pu mieux les formuler. Merci à M. Médina pour ses réflexions, et le choix du titre qui me touche de plus.
    Bien sûr, il est dur pour quelqu’un comme moi, qui est une vendue à la langue française et au nationalisme québécois, de trouver des réfutations à poser au texte. Mais j’essaie, et je ne vois pas.
    En effet, pourquoi viens-tu t’installer au Québec, dans toutes les provinces canadiennes, alors que tu sais pertinemment que c’est un province francophone avant tout. Pourquoi viens-tu ici dans l’idée d’éduquer ta famille dans une langue autre que ce français qui est si cher à ses habitants, et qui est l’un des éléments qui permet la prospérité de leur identité singulière depuis la Conquête…
    Ça n’a pas de sens… Sinon, tu es francophone, mais tu crois qu’une éducation anglaise serait plus bénéfique pour ta famille. Ce n’est pas plus justifiable, car comme dit M. Médina, tu handicape tes confrères et même ta famille, car la culture française est aussi riche et la loi 101 n’est pas prêt de débarquer. Du moins, je l’espère.
    Sur ce, j’ai vu un autre article ce matin des plus révoltants dans le journal, et je m’en vais préparer un entrée pour le blog à l’instant.

  2. christiane gauthier

    Jacinthe, je suis tout à fait d’accord avec toi, sauf que tu es un peu timide et trop réservée. Je m’explique. Tu te dis« vendue à la langue française et au nationalisme québécois» et tu sembles supposer que c’est à cause de tes opinions apparemment subjectives que tu ne peux trouver quoique ce soit à opposer à M. Médina. Mais je pense que notre identité francophone, ne nous a pas été vendue et donc que nous ne l’avons pas achetée. Au contraire, ce n’est pas avec de l’argent que nous l’avons gagnée et maintenue, c’est par notre endurance et notre volonté de ne pas périr que nous avons jusqu’ici gardé en vie le fait français en Amérique. Et ce n’est pas être seulement «subjectif» au sens péjoratif du terme (au sens de manquer d’objectivité) que de vouloir défendre sa langue et sa culture, c’est un signe de volonté, d’affirmation et de santé. Ton souci de trouver des objections possibles à son texte t’honore, cela veut dire que tu es tout à fait sensible au point de vue d’autrui. Mais tu ne dois pas te sentir coupable de penser dans ta langue et d’aimer cette langue dans laquelle tu vis, tu rêves et tu respires.

    Autrement, cela signifierait que nous serions les seuls à ne pas pouvoir parler de l’importance des lois linguistiques au Québec, parce que seuls les autres, anglophones et allophones, auraient la distance et la neutralité nécessaires pour entamer ce débat de façon calme et civilisée. Et d’ailleurs c’est souvent par la culpabilisation que les opposants aux lois linguistiques québécoises cherchent à gagner du terrain. Ils nous suggèrent de façon détournée que notre parti pris pour le français est un refus, un manque d’ouverture ou de la frilosité. Alors ne crains rien, ton identité française et ta position nationaliste ne sont d’aucune façon un écran contre l’honnêteté intellectuelle, elles sont le fait de ton histoire et de ta volonté saine, normale, de vouloir poursuivre cette destinée historique du seul peuple francophone en terre d’Amérique. M. Médina nous le rappelle avec beaucoup d’élégance mais il nous pose aussi une question cruciale : comment se fait-il que beaucoup de francophones sont indifférents au sort de leur propre langue et de leur propre culture ? Auraient-ils renoncé à exister et préféreraient-ils se vendre à l’identité de l’autre ?

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